CHAPITRE VI

 

 

 

 

Dans la lumière mauve du petit matin, les trois navires ont l’air de glisser à la surface de l’eau. Le Triangle taille la route en tête, pour le marchand et l’autre corsaire, rebaptisé le Compas.

Sur la dunette du Triangle, Cal, assis sur le banc de l’officier de quart, rêve en regardant le jour se lever. C’est une merveille ici. Sur Terre, autrefois, le petit matin avait des allures de tristesse grise. Dans ces parages, c’est une subtilité de couleurs légères, juste esquissées, comme celle d’un poste télé-couleur dont le tube est usé !

Il aime bien venir, comme ça, prendre le quart du matin. C’est absolument inutile avec Salvo sur la dunette, mais il est censé, pour ses passagères, s’occuper de la marche du navire.

Deux mois se sont écoulés depuis le combat naval. Le Triangle a mis deux semaines pour revenir à la baie. Tout y était en ordre. La tempête avait dû passer par là, mais les amarres n’avaient pas bougé et le marchand était toujours là.

Il a fallu réparer plus sérieusement le Compas. Sur le marchand, il y avait un mât de rechange qui a servi à remplacer la misaine. Restait le problème du grand mât. On lui a fait une bouture, pas très belle mais efficace, avec un grand arbre coupé dans l’île et renforcé, soulagé par des haubans bien calculés.

Les approvisionnements en fruits et en eau ont été refaits et, un matin, les trois navires ont appareillé, le Triangle devant, guidé secrètement par le module. Les hommes d’équipage prêtés par le capitaine Dijil, tous embarqués sur le marchand, étaient béats d’admiration devant l’habileté manœuvrière de Cal, guidant les navires parmi les récifs.

Ils n’ont d’ailleurs jamais manifesté de mécontentement d’être ici. Ils se sentent en sécurité à naviguer près du Triangle qu’ils ont vu à l’œuvre.

Et, depuis cinq semaines, les trois navires font route, poussés par un vent continu, sur une mer d’huile. Si bien que la vitesse est remarquable.

Les habitudes ont vite été reprises sur le Triangle. Nali, remise au bout d’une dizaine de jours, ne ressent plus rien de sa blessure dont la cicatrice devient de jour en jour moins visible, à l’émerveillement de Tor. Difficile de lui expliquer que c’est souvent le cas avec les bistouris électroniques...

Maintenant les choses sont claires. Sans en avoir rien dit elle montre, par son attitude, qu’elle est amoureuse de Cal. De leur côté, Giuse et Tor font chambre commune ! Ça s’est fait le plus naturellement du monde. Tor, elle-même, a prévenu sa sœur en plein déjeuner, au carré !

C’est l’une des choses qui séduisent Cal sur cette planète. Les gens montrent une simplicité, un naturel apaisant. Et personne n’y trouve rien à redire. Nali s’est bornée à se lever pour venir embrasser sa sœur et Giuse, montrant par là qu’elle était d’accord.

C’est ce jour-là que Cal a eu une fameuse surprise. Nali se rasseyait quand une voix grave s’est élevée :

— Ben mon salaud !

Stupéfait tout le monde s’est retourné. C’était Pik, le petit sati ! Première fois qu’il parlait depuis que Cal l’avait recueilli.

Assis sur son derrière, il regardait la tablée en penchant la tête, comme un chien terrien ! Heureux de son succès il a repris :

— Giuse, vieux salaud, vieux salaud, vieux salaud... Il reproduisait exactement la voix de Cal !

— Je crois que désormais il faudra faire attention à ce qu’on dira, déclara Giuse d’un ton léger.

S’il y avait suffisamment de vivres frais à bord, en revanche la viande manquait un peu. Et on a commencé à laisser traîner des lignes, derrière le Triangle et le marchand. Pour le Compas, c’était inutile puisqu’il n’y avait que des humanoïdes à bord.

En cinq semaines, aucune voile n’a été aperçue. Pas un chat. Tant mieux, Cal avait l’esprit ailleurs.

Une ombre apparaît sur le pont, faisant sursauter Cal. C’est Giuse qui se frotte les yeux, encore difficiles à ouvrir.

— Salut, il est tôt, non ?

— Salut matelot, tu as laissé ta belle ?

Un sourire monte aux lèvres de Guise.

— Elle dort merveilleusement, si tu savais, elle est épatante.

Cal pose une main sur l’épaule de son ami.

— J’en suis bien heureux pour toi, mon vieux.

— Salut, ça va ?

Les deux hommes se retournent d’un seul bloc.

C’est Pik qui arrive en se dandinant. Et voyant qu’on lui prête attention il lance son cri de guerre, sa meilleure imitation :

— Vieux salaud, vieux salaud !

— Il faudrait bien qu’on arrive à lui faire oublier ça, dit Cal d’un air vaguement ennuyé.

— Tiens, tu te sens visé, maintenant ?

Salvo arrive près des deux hommes, une carte à la main.

— Vous voulez voir le point, capitaine ?

— Ah, où en est-on, mon vieux Salvo ?

— Vieux salaud, vieux salaud, lance Pik en s’éloignant.

— Un de ces jours, je vais l’enfermer dans la cale, murmure Giuse.

Cal fait mine de ne pas l’entendre et examine la carte.

— On devrait arriver en vue de Psorda dans une douzaine de jours. Pakra est sur la côte est... on contournera par le nord.

 

*

 

Une vraie beauté, cette baie de Pakra. Large, très belle, avec le port sur la droite, au nord, et la ville, toute blanche, au centre. À gauche, s’étend une plage au sable presque blanc sous le soleil.

Les maisons, toutes blanches, s’étalent sur une grande surface. La ville est plus grande que Cal ne le pensait. Dans l’oculaire de sa longue-vue, il aperçoit des arbres et des buissons couverts de fleurs.

Pas mal de navires dans le port, fermé du côté de la mer.

— Salvo, dis à Lou de prévenir les jeunes filles que nous entrons dans la rade, et que nous serons à quai dans une heure. Dis aussi à Badeux et Bahuit de me suivre à distance.

Badeux commande l’ex-corsaire, le Compas, et Bahuit le marchand.

— Que comptes-tu faire, une fois qu’on aura accosté, demande Giuse ?

— Ma foi, je me suis habitué au Compas, pas toi ? Un grand sourire éclaire le visage de Giuse.

— Tout comme toi. Alors... on vend le marchand ?

— Adjugé, matelot. On devrait en tirer de quoi voir l’avenir sans souci.

— À condition qu’ils aient encore assez d’argent pour nous payer.

— À dire vrai, j’ai réfléchi à ça... j’ai une idée. Giuse se tape un grand coup sur la cuisse en se mettant à rire.

— J’ai gagné mon pari. J’avais parié à Tor que tu avais déjà une idée pour venir en aide à ses compatriotes... On peut savoir ?

Cal jette un regard amusé à son ami.

— D’après ce que j’ai lu, et ce que m’a dit Nali, ils ne connaissent pas encore la banque. On va lancer la première banque de cette planète.

Cette fois, le visage de Giuse s’allonge.

— Hé, mais c’est pas du tout amusant, ça !

— Peut-être plus que tu ne le penses. Et puis ça me semble nécessaire au point de développement où ils en sont. Ils ont besoin d’avoir le papier-monnaie.

— Attention, cap’taine, souviens-toi d’un certain monsieur Law. Il a fait une banqueroute magistrale le jour où ses ennemis lui ont demandé de leur rendre, en or, leurs dépôts.

— Pas de danger que ça nous arrive.

— Tu es plus malin que monsieur Law ?

— Je n’en sais foutre rien, mais je suis beaucoup plus puissant. Toute la différence est là... Dis donc, ce n’est pas une bouée de chenal qu’on voit là devant ?

— Oui... ça m’en a tout l’air. Salvo, il est temps de ralentir, fais carguer les cacatois et les perroquets.

 

*

 

À peine l’échelle de coupée est-elle en place, à quai, qu’une nuée de types montent à l’assaut du Triangle.

Effarés, Cal et Giuse voient arriver à eux une vraie marée ! Cal retrouve son sang-froid et hurle à l’équipage d’empêcher quiconque de monter sur la dunette. Aussitôt les matelots font une chaîne en travers du bateau, retenant la foule.

Pourtant un jeune garçon leur échappe. Avec habileté il se baisse et passe entre les jambes d’un robot qui regardait ailleurs. Une vraie prouesse ! Sans s’arrêter, le garçon grimpe l’échelle de dunette et arrive sur le château.

— Capitaine, capitaine, je connais tous les cours, je vous obtiendrai un bon prix de votre marchandise.

— Mais...

— Je connais tout le monde... si vous ne voulez pas vendre tout de suite vous avez raison, les offres monteront, je vous tiendrai au courant des tractations, je vous indiquerai les acheteurs les plus sérieux. Je connais tout le monde à Pakra, je sais avec qui il ne faut pas traiter ! Et ma commission est très faible, vous ne trouverez pas mieux, je vous assure, capitaine !

Il va continuer quand Cal se bouche les oreilles des deux mains. Interdit, le garçon s’arrête, la bouche ouverte.

Il doit avoir une vingtaine d’années. Un jeune homme sur cette planète où la moyenne de vie se situe vers quatre-vingt-cinq ans. Il a un visage ouvert, pas vraiment beau mais attirant. Des cheveux blonds cendrés, ébouriffés. Il porte une chemise blanche sur un pantalon collant de la même couleur.

D’ailleurs tous les hommes, là en bas sur le pont, portent des vêtements clairs. Pour l’instant, ils sont furieux, ces hommes, ils montrent le poing au garçon en l’injuriant.

Après quelques secondes, Cal débouche ses oreilles. Le garçon lève les mains :

— D’accord, capitaine, je ne dis plus rien, fait-il avec une petite grimace de déception.

— Comment t’appelles-tu ? demande Cal en souriant de son assurance.

— Patri, capitaine.

— Que veulent tous ces gens ?

— Mais... traiter, capitaine. Ils travaillent pour des négociants et veulent une priorité d’achat. Permettez-moi de vous dire que si vous traitez avec eux ils vous rouleront. Vous serez obligé de tenir votre parole et vous vendrez à un prix très bas.

— Et toi, pour qui travailles-tu, alors ?

— Pour moi, capitaine, et pour vous si vous m’acceptez. Je... enfin je ne travaille pour aucun négociant, je suis indépendant.

Il a dit les derniers mots avec une sorte de fierté qui plaît tout de suite à Cal, qui lui jette un regard aigu.

— Arrive par là, suis-moi.

Il le conduit vers l’arrière, enjambe la lisse et se laisse glisser dans le vide, prenant appui sur le volet extérieur des grandes fenêtres de sa cabine, en dessous. Puis il change de prise et pose les pieds sur le rebord de la fenêtre elle-même. Deux secondes et il est dans sa cabine où le garçon le rejoint, examinant la pièce d’un regard rapide. Rien, pourtant, n’a dû lui échapper.

— Assieds-toi, dit Cal, veux-tu boire un verre de gouso ?

Patri hoche la tête. Maintenant il est impressionné et tente maladroitement de le cacher. Il n’a pas dû entrer souvent dans la cabine d’un capitaine. Cal remarque mieux ses vêtements. Ils sont propres mais usés jusqu’à la corde.

— Allons, détends-toi, nous allons parler affaires. D’abord tu as l’air de penser que je n’y connais rien, pourquoi ?

— Le capitaine Dijil a raconté partout ce qui était arrivé, en mer, le combat et tout ça. Il a dit aussi que vous n’étiez jamais venu par ici. Il y a de terribles marchands-négociants à Pakra. Vous ne pèseriez pas lourd entre leurs mains.

— Crois-tu ?

— Oui... enfin je le croyais, je me suis peut-être trompé.

— Raconte, comment ça se passe, ici.

— Eh bien, les marchandises sont vendues au marché maritime. Il y a là les capitaines indépendants et les armateurs d’un côté, et les négociants de l’autre. Ça paraît simple, mais pour ne pas se faire rouler, il faut bien connaître les habitudes et les gens.

— Et toi, bien sûr, tu les connais !

— Oui, capitaine. Je ne connais pas grand-chose, mais ça, je le connais.

— Et tu gagnes bien ta vie comme ça ?

Le garçon prend un air un peu gêné.

— C’est-à-dire... je suis jeune, alors on me traite plus facilement qu’un autre. Les capitaines ou les négociants qui m’emploient ne tiennent pas toujours parole. Et un procès devant les tribunaux du protecteur coûte cher...

La vieille histoire des puissants et des autres !

— Et ta famille ?

— Je n’en ai pas, capitaine. Juste un cousin qui fait comme moi, mais pour les propriétés, les terres, les maisons et tout ça. Mais il a mon âge et on a les mêmes difficultés.

— Bien. Patri, veux-tu être mon agent exclusif ?

— A...gent exclusif ? Qu’est-ce que ça veut dire, capitaine ?

— Ça veut dire que tu me conseilleras pour mes affaires et que c’est toi qui feras les transactions. Et je te verserai disons 5 % du montant, O.K. ? Et personne ne pourra faire affaire avec moi, sans passer par toi.

— Vous... vous ne vous moquez pas, capitaine ? Vous savez, ce serait pas bien...

— Non, je ne me moque pas, Patri, dit Cal d’une voix douce. D’ailleurs tu vas commencer tout de suite. On va te conduire sur le marchand et tu vas inspecter la marchandise. Tu me diras ensuite ce qu’on peut en tirer. Et du bateau aussi, je veux le vendre. Et moi, je vais faire annoncer que tu es mon agent exclusif.

Le gosse baisse la tête et Cal se penche vers lui.

— Eh, ça ne va pas ? Le pourcentage n’est pas suffisant ?

— Si, capitaine, il est même très généreux ; non, c’est que... je ne m’attendais pas à cela, alors...

Pour lui éviter un moment de gêne, Cal se détourne, cherchant les papiers du marchand sur la table. Quand il se retourne, le garçon a essuyé ses yeux.

— Dis donc, je vais avoir besoin d’une maison ; ton cousin, tu peux le faire prévenir de venir me voir ?

— Oui, oui bien sûr. Capitaine... merci.

— Fais ton boulot, mon petit, et tout ira bien, ne t’inquiète pas, allez file.

Une heure plus tard le pont est enfin vide. Et les filles peuvent enfin y monter.

— Puisque vous n’avez pas de famille, commence Cal prudemment, vous n’avez pas de maison où habiter. Je vous propose de rester quelques jours à bord. Dès que la cargaison sera vendue, nous achèterons, Giuse et moi, une maison où nous serions heureux que vous acceptiez un appartement... si vous jugez que c’est convenable.

Nali a un sourire ironique.

— Etant donné la situation je pense que ce serait... la meilleure solution, en effet. Imaginez, Cal, la tête de Tor si nous allions habiter de l’autre côté de la ville. Vous savez que je vous trouve curieusement timide, par moments ?

— Ne m’en veuillez pas, Nali. Je ne veux que votre bien.

— Oh ça, je le sais. Mais permettez-moi donc de juger, moi-même, de temps en temps ce qui est bien pour moi. Et ne faites pas la tête comme ça, ce qui est bien pour moi c’est d’être près de vous. Voilà, vous êtes content ?

— Content ? Bien plus que ça et...

Salvo survient, un sourire d’excuse aux lèvres.

— Vous avez dit, tout à l’heure, que vous vouliez me voir, capitaine ?

— Ah oui, viens, descendons dans ma cabine. Pardonnez-moi, Nali. Peut-être voulez-vous aller vous promener ?

— Oui, j’attends Tor et nous descendons à terre. Une fois dans la cabine, Cal fait appeler Giuse, Lou,

Siz, Ripou et Belem.

— Voilà mon plan, dit-il. Il y a longtemps, j’ai fait faire un relevé des gisements minéraux de la planète, par HI. Je ne veux pas toucher aux gisements de surface, mais il reste les sites sous-marins que les Vahussis sont bien incapables d’exploiter. On va donc exploiter un gisement d’or de ce genre. Salvo, demande à JI où se trouve le plus proche et le plus riche.

— JI dit qu’il est à l’est de l’archipel, dans une grande fosse, moins six mille mètres, mais il affleure le fond. Facile à exploiter.

— O.K., alors tu vas faire venir un autre module, ou plutôt tu l’envoies directement là-bas, avec le robot de combat du bord. Et toi, tu pars avec Ripou et Belem. Commencez tout de suite à travailler le métal et fondez-le en barre d’une livre. Je veux de l’or très pur.

— Ça, alors, c’est une fameuse idée, s’exclame Giuse. Tu vas t’en servir pour cette histoire de banque ?

— Oui. Je vais constituer une réserve énorme. Comme ça, si on nous refait le coup de Law, les petits malins en seront pour leurs frais.

— Pas idiot, ton truc, tu garantis totalement la monnaie.

— Et je vais aussi créer les lettres de change, pour les négociants. Ça leur évitera de tout payer en or et de trimbaler des poids énormes. Et on va pouvoir s’installer commodément même sans les pierres précieuses que me fournissait HI, à chaque voyage. Pour l’instant, j’ai engagé un jeune gars comme intermédiaire, ici.

— Déjà, s’étonne Giuse, je ne l’ai pas vu. Ah tu perds pas de temps, cap’taine !

— Le hasard. Il s’est présenté et j’ai aimé sa façon de faire. Il force la chance. Cette fois il l’a trouvée. Il est en train d’inspecter la cargaison pour en évaluer le prix.

— Tu lui fais confiance ?

— On verra bien. S’il n’est pas idiot, il jouera le jeu.

 

*

 

Deux jours plus tard, Giuse et Cal assistent, assourdis, à la vente de la cargaison et du navire, au marché maritime. C’est une immense salle, haute de plafond, où règne un bruit fou. Près de deux cents personnes sont là, hurlant sans arrêt.

— J’échange, j’échange.

Un papier à la main, ils cherchent l’amateur d’un lot de marchandises. Certains parcourent la salle en criant leur offre sans arrêt, d’autres restent sur place en criant de même !

Sans y avoir rien compris, les deux Terriens se trouvent emmenés dans une sorte de cage de fer gardée par cinq hommes en armes. C’est là que les négociants entreposent leur or, à leur arrivée au marché.

C’est Patri qui a tout fait. Pendant deux jours il s’est activé, faisant des démarches mystérieuses, recevant des visiteurs, à bord. Il a mis en concurrence trois négociants qui ont fait une véritable enchère, tout à l’heure. Et le vainqueur, ravi, est en train de leur compter des sacs de bals d’or. Un bal vaut dix rads d’argent. Une fortune !

Lou et Siz se chargent des sacs, trente-huit, et les emportent au Triangle.

— Capitaine, êtes-vous content de la vente ? demande Patri, une fois dehors.

— Oui, mon gars, et j’ai une offre à te faire. Je vais te payer le pourcentage convenu, mais si tu le veux nous allons continuer à travailler ensemble, est-ce que ça te conviendrait ?

— Je crois bien ! Tout ce que vous voudrez. C’est un plaisir de travailler pour vous.

— Je veux acheter une grande maison, près du marché maritime. Je veux aussi une autre maison, belle celle-ci, et tranquille, un attelage d’antlis et une voiture, et je veux faire construire une autre maison sur mes plans.

— Pour ça, capitaine, c’est mon cousin qui pourra vous être utile. Il en connaît beaucoup plus que moi.

— Il est aussi malin que toi ?

— Dans sa partie, oui, capitaine.

— Et honnête ?

Le jeune gars met sa main sur son cœur.

— J’en réponds, capitaine !

— Alors j’aurai peut-être du travail régulier pour lui aussi.

— Vrai, capitaine ? Ce serait formidable, vous savez. Je lui avais dit que vous vouliez le voir, il est dans une auberge pas loin, on peut y aller ?

Le cousin en question plaît tout de suite aux Terriens. Comme Patri, il est blond cendré, un peu plus grand mais très maigre. Ils ne doivent pas toujours manger convenablement. Lui aussi à l’air déluré, au bon sens du terme.

Et il connaît la maison que cherchent les deux hommes pour installer la banque. Ils y vont d’ailleurs immédiatement.

Une heure plus tard, le marché est conclu. Cal donne rendez-vous aux garçons, sur le navire et leur donne à chacun dix bals d’or à titre d’avance pour qu’ils aillent fêter leur succès.

En attendant, Cal et Giuse se promènent en ville. Il y a une étonnante bonne humeur chez ces gens. Les passants sont habillés de blanc et de gris clair. Les femmes, parfois, de jaune. Mais ce sont les couleurs claires qui dominent.

De grandes places, avec des fontaines, rafraîchissent la température plutôt chaude. Les maisons, en revanche, ne sont pas très belles. Des blocs carrés, en général. Probablement pour conserver la fraîcheur derrière des murs épais.

Plus ils se baladent, plus Giuse et Cal pensent que leur maison sera mieux adaptée au climat. C’est Giuse qui en a eu l’idée, en se souvenant des maisons d’autrefois en Espagne, avec des patios. Voilà ce qu’ils vont faire construire.

Partout des fleurs, et des grands arbres au feuillage large. Autour de la ville s’étendent de grands vergers. Psorda est surtout connue pour ses fruits et ses légumes. Le sous-sol ne semble pas riche en minerai.

Pourtant les gens sont ingénieux. Ils ont une petite industrie, artisanale souvent, à partir de matière première importée, qu’ils transforment.

C’est aussi un étonnant mélange de races. Il y a là des blonds, descendants de Vahussis, des bruns, citoyens de Pandria et leurs résultats, des hommes châtains, plus ou moins clair ou foncé selon l’ascendance. Quelques rouquins venus on ne sait trop comment du troisième continent, Gol.

Et tout ce monde paraît bien s’entendre. Pas de problèmes raciaux. Un pays heureux.

— Tu vois, je me plais ici, dit Giuse alors qu’ils sont en train de boire une boisson fraîche devant une auberge. Tout ça, ce soleil, ces gens, ce ciel, tout me convient.

— Moi aussi, matelot, ça me plaît bien. C’est pourquoi on va leur donner un coup de main pour les tirer de cette mauvaise situation.

— Tu vas faire la guerre aux coalisés ?

— Non, les dissuader ! Je n’aime pas la guerre, je ne m’y résous que si je ne trouve pas d’autres solutions. Viens, rentrons au navire. À propos, les travaux sur le Compas, il va falloir s’en occuper. Tu veux t’en charger ?

— O.K. !

Sur le Triangle, Salvo est là, à les attendre. Sur la table de la cabine une pile de lingots !

— Ouahou, fait Giuse en soulevant celui du dessus, c’est du vrai ! Et il y en a encore beaucoup comme ça ?

— Au moins dix tonnes, répond Salvo en souriant, dans le module.

— Formidable, dit Cal. Avec ça on va faire du bon travail. Dès demain, Salvo, tu mets les Dix au travail à la banque. Au premier, tu installes des bureaux. Patri et son cousin, au fait, comment s’appelle-t-il celui-là ?

— Giko, dit Salvo.

— Tu sais tout, toi, reprend Cal en secouant la tête. Bon, alors Patri et Giko y auront chacun un bureau d’affaires. Et dès que le terrain sera acheté, tu mettras des hommes pour creuser les fondations de la nouvelle maison. Je veux aller très vite. Nous, on va donner une fête pour les négociants. On leur proposera cette histoire de billets de banque. Après, on fera la même chose avec les capitaines et les armateurs. On a du pain sur la planche. Mais on va bien s’amuser.